La maison des fous

Déjà un mois que je suis en Egypte. C’est donc le moment de renouveler mon visa. Ou plutôt d’étendre sa période de validité car en Egypte, à l’arrivée, à l’aéroport, on vous délivre un visa valable 3 mois mais si vous restez plus d’un mois il faut aussi aller vous déclarer au bureau de l’immigration sous peine de payer une amende (pas grand chose apparemment). Que se passe-t-il si vous ne vous déclarez pas ? Rien je pense, au pire vous payez une mini amende quand vous reprenez votre avion au retour ou que l’on vous contrôle ? La logique ? Je la cherche encore…

ATTENTION : la procédure a changé pour les visas. Vous pouvez trouver des infos ici https://discoverdiscomfort.com/how-to-renew-your-egypt-tourist-visa-updated-2019/

Difficile de trouver des infos sur comment procéder pour étendre le visa. Sur le site du gouvernement français, ils indiquent juste qu’il faut se rendre au bureau de l’immigration, place Tahrir. Ça tombe bien, mon hôtel est à 5 min à pied. J’ai reporté plusieurs fois ma visite à cause de mon emploi du temps. Trop de choses à visiter avec ma maman et je me suis dis qu’une heure ne serait probablement pas suffisant. Quelle erreur ! Ce ne sont pas des heures qu’il faut mais des jours !!! A force de repousser, j’ai fini par y aller pile-poil un mois après mon arrivée. Et là c’est un nouveau monde qui s’est ouvert à moi.

Je connaissais la rue égyptienne regorgeant de personnes prêtes à vous aider si vous avez le moindre soucis. Là j’ai exploré les bureaux égyptiens où le sport de compétition des salariés consiste à ne jamais croiser le regard du citoyen afin d’éviter ou du moins de retarder le plus longtemps possible quelque contact que ce soit. C’est un art !!

Premier jour, 11h :

Je me retrouve devant cette incroyable bâtisse. Vous avez vu le nombre de fenêtres !! Premier contrôle du sac, je rentre dans un espèce de hall ouvert, tout est écrit en arabe… Bon, je reviens sur mes pas, je demande au contrôleur où je vais pour les visas. « En haut, par les escaliers », me fait-il comprendre. Ok, let’s go, 2e contrôle en haut des escaliers, à peine le temps d’ouvrir la bouche pour poser la question à nouveau, le type me dit « n°55 ». Euh.. « N°55 » Ok ça doit être écrit sur ma tête. Je me retrouve dans un long couloir, avec des portes de bureau, toutes numérotées, puis des guichets eux-aussi numérotés, parfois en chiffres occidentaux, parfois en arabe. J’ai bien fait d’apprendre les nombres en arrivant ici 🙂 J’avance trop loin, je reviens en arrière. Ok N°55.

C’est le guichet d’accueil en fait. Pour survivre dans un service administratif égyptien, la règle de base c’est de savoir faire la queue à l’égyptienne ! Si vous attendez passivement votre tour, vous pouvez toujours attendre… Vous avez deux options.  Vous pouvez faire comme la plupart des égyptiens : vous vous glissez entre les personnes pour atteindre le guichet et vous posez votre question voire mettez vos papiers sous le nez du salarié jusqu’à ce qu’il les prenne (j’exagère à peine). Parce que oui, ça semble tout à fait normal ici d’interrompre des gens en pleine discussion à un guichet administratif. Et comme le salarié répond aux gens qui l’interrompe sans cesse, j’en déduis que c’est l’usage… (Et oui, forcément, quand on est interrompu en continue, tout prend plus de temps). 2e option, vous êtes un chouïa (un peu en arabe) plus poli et vous vous mettez juste derrière la personne qui est en train de traiter avec le guichet et la laissez finir. Avec le risque que quelqu’un passe devant vous bien sûr (que ce soit quelqu’un arrivé avant vous ou le dernier arrivé).

Et il faut imaginer, que la queue devant les guichets égyptiens, ce n’est pas une ligne droite mais une masse gesticulante de personnes compressées. Et il fait chaud…

Bref, j’arrive jusqu’au guichet où on m’indique de rejoindre le n°30. Tous les guichets sont dans un très long couloir. Je me rend au n°30, où une pancarte indique que pour le visa de résidence touristique, il faut une photo d’identité et remplir le formulaire n°7 qui est gratuit. Je fais donc la queue au guichet pour obtenir le formulaire. J’essaye de parler aux employées mais elles évitent consciencieusement mon regard et il y a une trentaine personnes à ce guichet. Ca fait déjà 10-15 minutes que j’attends et la guichetière parle toujours avec la même personne. Et moi, je veux juste un papier à remplir…

J’arrête d’attendre et je me mets à demander autour de moi où est ce formulaire n°7. J’ai bien fait de demander, il est juste posé sur une table pas très loin du guichet, par contre aucun numéro indiqué dessus, juste la mention de résidence court et long terme. Je me dis que ça doit être ça. Devant cette table, il y a une cinquantaine de personnes qui squattent, bouchant toute la largeur du couloir. Je remplis mon papier et vais pour me remettre dans la queue du n°30 (par chance j’avais des photos avec moi) Mais quelqu’un me précise, non, non, il faut faire signer le papier par un officier… Ah, quel officier ? Ils sont partis, ils vont revenir dans une heure… C’est pour ça qu’il y a cinquante personnes devant la table…

Ok, pas de problème, je pars… Puisque mon hôtel est à cinq minutes et que j’ai d’autres choses à faire, comme aller récupérer ma carte bancaire oubliée dans le distributeur de la banque, je reviendrais plus tard.

Vers 12h30, me revoilà. Ah il faut savoir que les bureaux ferment à 14h (ce qui n’empêchent pas les salariés de faire une pause pour manger, vous laissant, pantois, attendre devant le guichet vide). C’est bon, un officier est présent dans son bel habit blanc (on m’a dit qu’en hiver, il mettent un uniforme noir et que c’est comme ça que tu sais que tu as changé de saison). Debout, derrière la table, à côté du guichet n°30, il alterne (voire combine) signatures, cigarettes, soupirs, discussion et coups de gueule. Il y a du monde, c’est la guerre pour faire signer son papier. Tout le monde lui met son formulaire littéralement sous le nez, lui pose des questions, insiste quand il ne veut / peut pas signer. Il s’énerve, on lui allume sa cigarette, il répète probablement pour la centième fois la même chose, il sourit, redevient sérieux, signe…

Je réfléchis à la stratégie à adopter quand, à côté de moi, une femme en niqab (c’est le grand voile noir, qui ne laisse apparaître que les yeux séparés par un petit filet), m’adresse la parole en français, elle a vu mon passeport, elle est française, elle a épousé un égyptien, elle vient aussi étendre son visa, son mari est juste devant l’officier . Ni une, ni deux, elle saisit mon passeport et mon formulaire, les fait passer devant, à son mari, en lui disant de les donner à l’officier. Quelle idée ! L’officier monte sur ses grands chevaux, pourquoi lui donne-t-on un autre passeport qui vient de derrière, qu’est-ce que c’est que ces manières… Je ne sais pas trop ce qui se dit mais c’est tendu. L’officier appelle Mahmoud, la police en civil ?, qui récupère passeports et formulaires et commence à poser plein de questions au mari. Moi, je ne quitte pas Mahmoud d’une semelle. Il fait des allers-retours dans le couloir, ça n’a pas beaucoup de sens…

Finalement, Fatiha, la française, me traduit, pendant que Mahmoud épluche mon passeport : il demande où est ton ancien passeport ? Je bloque, ben je l’ai rendu… Parce qu’il dit qu’il n’y a pas de visa dans celui-là. Ben si, il y a le visa égyptien, je le montre à Mahmoud mais je comprends avec un temps de retard… Il n’y a que le visa égyptien, le passeport est neuf, comme si j’en avais refait un exprès pour que les autorités égyptiennes ne voient pas où je suis allée. Aaaaah. Mahmoud me rend quand même mon passeport et demande au couple de le suivre. Allez Ciao, moi je retourne faire la queue. Je finis par arriver devant l’officier. Impossible d’accrocher son regard, je vous jure c’est un truc de fous. Quand tu veux attirer l’attention de quelqu’un tu le regardes, moi je souris en plus, généralement ça fonctionne… Ici, aucun regard.

Pas de problème, je sais que, quand même, t’as beau ne pas me regarder, tu me vois très bien en fait, dans l’angle là… Alors je souris en coin, en me disant que ça coûte rien, et mieux vaut être sympathique si jamais il est encore en colère contre moi… et puis quand même cette situation, ça me fait rire. Il y a l’autre là qui lui allume sa cigarette pour qu’il lui signe son papier… En fait cet officier, malgré le bordel, il fait passer les gens dans l’ordre, enfin plus ou moins. Celui qui essaye de passer avant tout le monde, il le dégage, exaspéré, en lui gueulant dessus. Finalement, moi j’attends sagement devant lui, les mains sur la table pour garder ma place quand même. Il prend mon papier, le signe, fait tomber une cendre dessus, la chasse du revers de la main et me rends le formulaire, toujours sans me regarder… Je suis sure qu’il est chouette ce type en fait.

En me rendant le formulaire, il m’informe : n°12. Je pensais que je devais aller au n°30… Mais bref me voilà parti pour le n°12. Il n’y a presque personne devant. Je donne mon formulaire et mon passeport au guichetier qui parle très bien anglais mais au compte-goutte. Il lui faut une photocopie du passeport me dit-il. Ah, intéressant, j’en ai une dans ma ceinture, vous savez au cas où on me vole mon passeport… Me voilà en train d’enlever ma ceinture au milieu du couloir pour récupérer la photocopie. Sauf que le papier, s’est imbibé de sueur (yes beurk) et qu’il s’effrite.

Bon il faut donc que j’aille faire une photocopie. Le guichetier me rend le passeport avec un papier et il m’indique vaguement une direction. Il faut aller payer à la banque. Ah, quel numéro ? La banque. Ok pas de numéro. Et en plus, personne m’a prévenu que c’était payant cette histoire. Je pars à la recherche de la banque, la banque ? La banque ? On m’indique la direction, c’est dans un couloir perpendiculaire. J’arrive au guichet de la banque. 1120 livres égyptiennes m’indique avec un grand sourire le type derrière la vitre, 60 balles quoi. Mais t’es tellement heureux d’être arrivé à cette étape que tu payes.

Ah oui mais zut, est-ce que j’ai 1120 pounds sur moi ? Ils ne prennent pas la carte, ni les euros. J’ai du bol, j’ai retiré beaucoup d’argent quelques jours avant (parce que j’avais oublié ma mastercard à la banque, celle avec laquelle je n’ai pas de frais à l’étranger. Du coup, j’ai retiré des sous avec la Visa, Sur 100 balles, 7 euros de commission ! Dont une partie est fixe. C’est pour ça, mieux vaut retirer beaucoup d’argent d’un coup) Bref, je paye, je prends le reçu et je retourne au n°12 qui veut donc la photocopie. Une photocopie de la page identité du passeport, plus celle du visa. Good to know. J’ai vu que le service photocopie est tout en bas du bâtiment, dans le hall d’entrée. Je fais les photocopies pour quelques livres et je reviens au n°12.

Jusque quand vous voulez rester ? 2 mois, jusqu’au 22 décembre, comme c’est écrit sur le papier. Après avoir parlé avec l’officier qui passait par là, oui celui de tout à l’heure, qui, par ailleurs, rature quelque chose qu’il a écrit sur mon formulaire en disant au guichetier quelque chose du genre, ah oui je me suis trompé, ce dernier reprend la discussion avec moi pour m’annoncer qu’il met fin janvier sur le formulaire. OK. Puis il me dit : revenez demain, 9h, guichet n°13.

Ah. mais je ne peux pas, je repars à Ismailia. Je ne pourrais être là que vers 11h le matin vu le trafic… Il ne me répond pas. J’insiste. No problem, no problem finit-il par me dire sans plus me regarder. La discussion est finie.

Le lendemain, 11h

J’arrive au bureau de l’immigration. Je laisse mon appareil photo au contrôle. J’ai oublié qu’on ne rentre nulle part avec un appareil photo en Egypte à moins éventuellement de payer dans les attractions touristiques. Direction l’étage. Le guichetier m’a donc dit n°13 mais je suis sure que c’est 30. Donc je m’arrête au 30, toujours autant de monde devant, je me fraye un passage, je montre le petit mot écrit par le guichetier n°12 sur mon passeport et l’employée me dit : n°38. Grand sourire.

Je me rend au 38, bon c’est écrit tourist residence visa processing, ça semble logique. A ce guichet, je rencontre l’employée la plus désagréable encore jamais rencontrée. Je lui montre le passeport. Too late, trop tard, elle me dit, sans me regarder bien sûr. Demain à 10h. Bon pas de souci, je comprends la procédure en l’écoutant parler avec d’autres personnes qui eux, veulent récupérer leur passeport donné plus tôt : on dépose le passeport à 9h le matin (ou 10h, mais par précaution 9h c’est mieux) et on vient le rechercher l’après-midi une fois le visa collé dedans. Au cas où, j’insiste quand même, il n’y a pas d’exception ? En Egypte, ça arrive souvent qu’on vous dise juste non par principe, et il suffit d’insister un petit peu pour que la réponse change, sans même forcément donner de backchich. Elle ne me répond pas, et elle se barre pour sa pose déjeuner laissant le guichet vide et surtout toutes les autres personnes qui veulent récupérer leur passeport sans réponse.

Je rencontre alors une néozélandaise, qui a besoin de son visa le jour même, car elle travaille le lendemain puis pars à Dahab, vers Sharm al-sheik, dans le désert. Bon moi, je m’en fiche, je peux revenir le lendemain mais elle c’est galère du coup. En plus, elle est énervée par la situation, le manque d’information, l’attitude des employés… J’essaye d’attirer l’attention des personnes assises dans les bureaux derrière les guichets. Mais au jeu du je ne te regarderai pas… ils sont vachement forts. Finalement j’arrive à interpeler un type qui passe devant la fenêtre. Je lui explique la situation, elle ne peut pas attendre, elle doit partir demain. Vous avez un ticket de bus, d’avion ? Lui demande l’employé, elle s’énerve, non et pourquoi est-ce qu’elle devrait en avoir un… (elle part avec des amis) Mal ouej, le type le prend mal, tourne le dos et se casse sans plus nous regarder… Comme quoi ça marche quand même mieux avec les sourires.

La guichetière repasse par là mais s’en va dans le couloir, je tente un, please, help us… La réponse est claire, elle me regarde, en colère, NO. Ok, au moins c’est clair. J’essaye bien de contacter des personnes qui connaissent des personnes haut gradées dans le bâtiment mais ça prend trop de temps. Je m’excuse auprès de la neozélandaise en lui disant que je crois que c’est bien foutu pour aujourd’hui. On se sépare, je récupère mon appareil photo sans oublier de laisser un backchich à l’employée qui l’a gardé, 10 pounds, 50cts.

3e jour, 9h

Cette fois je suis à l’heure et tout se passe sur des roulettes. Le couloir est déjà blindé de personnes qui font la queue partout. Direction guichet n°38. Ouf, ici, il n’y a presque personne, et la dame, derrière la vitre, différente de celle de la veille, sourit !! oui, oui elle sourit. On attend son tour, presque en ligne. Je donne mon passeport, elle m’indique de revenir à 13h30. Hier la guichetière demandait aux gens de revenir à 13h donc par précaution je reviens à 13h…

Étonnamment, la guichetière sourit toujours. Mais il faut bien noter que les employées et employés, qu’elles/ils sourient ou pas, font preuve d’une patience à toute épreuve. Si l’officier se permet de gueuler dans le couloir, eux parlent calmement, quand ils parlent… malgré les centaines de personnes qui les agressent verbalement tous les jours. A leur place, je pense que je tiendrais pas deux jours. Et il faut aussi préciser qu’apparemment leur salaire est vraiment pas terrible, environ 3000 livres par mois… 150 euros, c’est le prix de la sécurité de l’emploi apparemment.

Arrive une européenne, la cinquantaine, énervée, un peu paniquée, elle veut passer devant tout le monde. Je lui demande ce qui se passe. Elle me dit qu’elle veut récupérer son visa. Oui comme tout le monde je lui dis. Non mais les autres, ils peuvent aller à n’importe quel guichet moi je dois aller au 38… Je la reprends, non on est tous touristes ici, c’est pas parce que la majorité a une tête basanée que ce ne sont pas des touristes… Elle se calme… Et arrête d’essayer de dépasser. Par contre , elle invective quiconque essaye de passer devant elle. En quelques minutes, je récupère mon visa (youpi) valide jusque fin janvier. Derrière moi, je retrouve la voyageuse néozélandaise, qui a posé un jour de congé pour revenir et qui récupère, elle aussi, son passeport. Fin de l’aventure,on va fêter ça toutes les deux autour d’un bon jus de mangue frais.

Qui a dit que l’administration égyptienne était compliquée ?

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  1. SEJOURNET Carole says: 30 octobre 2018 at 4 h 52 min

    Ah oui!!! C’est exactement comme dans « Les douze travaux d’Astérix!!!!
    …Très très drôle ta description de l’administration égyptienne… Une organisation totalement désorganisée au premier regard!!! De l’art de faire attendre une foule en furie…. avec calme, sérénité et fermeté… Très très. ..égyptien en fait..!!!!…

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